Kevin Cardona
Chief Innovation Officer

La notion de poste de travail individuel avait déjà tendance à devenir obsolète, avec une préférence pour l’usage plutôt que pour la propriété. Quotidiennement, nous passons beaucoup de temps en réunion ou en rendez-vous, le taux d’occupation d’un bureau individuel dans le secteur tertiaire est estimé entre 50 et 60% ce qui est assez peu et appelle à penser de nouvelles configurations. Plus globalement, on estime le taux d’occupation d’un immeuble entier à 30 % si on compte les soirs, les nuits, les week-ends, les vacances et les jours fériés[1]. Le bureau est un espace sous-utilisé, c’est un fait. Si l’on met en perspective cette donnée avec la rareté du foncier ainsi que la finitude des ressources et de l’énergie, chaque mètre carré existant doit être mieux utilisé et mieux connecté aux transports, d’où un besoin de préserver une certaine centralité, rôle joué par le siège social de demain.

Vers de nouveaux « écosystèmes productifs »

Nous allons donc vers une hybridation encore plus marquée ; avec un succès confirmé pour le télétravail, une valorisation des intermédiaires que sont les tiers-lieux (espaces de coworking etc…) et une essentialisation du siège social, véritable vaisseau mère de l’organisation d’une entreprise. Cet aspect flagship se traduira par son esthétique, avec un design marqué, singulier, capable d’inscrire dans les courbes et les formes du bâtiment une véritable identité.

Il faudra ensuite, bien entendu, définir pour chacun des acteurs, en fonction de leur activité et de leurs besoins, ce qu’est la centralité et ce qu’est le « meilleur endroit » pour s’implanter. Car central ne veut pas dire nécessairement les cœurs de ville des grandes métropoles, même si je suis persuadé que leur attractivité restera très forte sur le long terme. En effet, des villes comme Londres ou Paris offrent toutes les infrastructures de mobilité et de services nécessaires pour connecter les collaborateurs et les clients au siège social. L’idée n’est donc plus d’aller travailler à un endroit seul, car comme l’a prouvé l’expérience grandeur nature du « tout télétravail », nous pouvons très bien faire cela chez nous, mais plutôt d’optimiser l’espace du siège afin de créer un lieu idéal d’interaction et d’opportunités.

La crise sanitaire aura donc permis de comprendre que le home office est bénéfique, car il évite les temps de transport, permet un certain confort et une forme d’indépendance, mais également à quel point l’immeuble de bureau est plébiscité. Et cela n’est nullement contradictoire à mon sens, bien au contraire, cela prouve qu’une entreprise n’est ni plus ni moins la somme des individus qui créent de la valeur ensemble. Et le siège social permet ce rassemblement.

Lorsqu’on me demande à quoi correspond le bureau de demain, je réponds que ce n’est pas un bureau. Il s’agit plutôt de ce que j’appelle un écosystème productif. Soit une combinaison entre le home office, le siège social et le tiers-lieu. Le dosage dépendra finalement de l’entreprise, de ses besoins, de sa culture et de son modèle de management.

Tiers-lieux, hybridation et modularité des espaces

La crise sanitaire réinterroge tout de même le mythe de la mégalopole et de sa densité. Après trois mois de confinement, peut-être que certaines personnes seront tentées par plus de verdure et verront la ville autrement. Je ne dis pas que la ville perdra en attractivité, bien au contraire, mais si les lieux de vie se déplacent vers des endroits qui permettent de mieux s’épanouir tout en restant connecté aux épicentres de l’activité économique, alors nous pourrions envisager une autre répartition démographique sur les territoires.

Il est impossible aujourd’hui de prédire ce qu’il se passera, mais si cette tendance se confirme alors les tiers-lieux auront un rôle à jouer. C’est l’occasion de redynamiser certains territoires : on imagine très bien un espace de coworking à la place d’une ancienne poste ou d’une petite agence bancaire vouée à disparaître en milieu rural… Il y a peut-être une place pour ceux qui parviendront à créer des « hubs de tiers-lieux » en dehors des villes, avec une offre de service plus qualitative que ce que permet le télétravail (une meilleure connexion à internet, l’accès à des outils partagés et la possibilité de sociabiliser...). Des acteurs du secteur du coworking ont déjà investis des lieux en dehors des grandes villes et ce bien avant la crise sanitaire, il n’est donc pas impossible de voir cette tendance se confirmer pour répondre aux aspirations des collaborateurs. Dans les plus petites métropoles et à l’initiative des municipalités, on a vu également fleurir depuis quelques années des espaces mixtes gérés quotidiennement par des managers de centre-ville. Le confinement a créé des besoins, il sera intéressant de voir si cela se confirme dans le temps ou bien si les anciennes habitudes reprennent cours.

Dans tous les cas, je pense que la ville fonctionnaliste n’est plus. Les espaces uniquement dédiés à une activité bien distincte (habitat / travail / consommation) vont disparaître et les nouveaux projets urbains aspirent quasiment tous à ce brassage des fonctionnalités. Le prix du mètre carré est tel dans certaines métropoles que nous n’avons plus le luxe de laisser des espaces inutilisés pendant certaines tranches horaires ou des périodes creuses. Financièrement, mais aussi écologiquement, cela devient aujourd’hui impensable.

Je pense que nous entrons dans une crise économique structurelle et que l’impact de la pandémie va se faire sentir dans les cinq prochaines années. L’immobilier est le second pôle de dépense des entreprises, il va donc falloir optimiser au maximum les espaces. Le télétravail répond en partie à cette optimisation budgétaire, il permettra un meilleur équilibre entre vie privée et vie professionnelle et limitera les dépenses inhérentes au travail présentiel. Il y a donc à parier que la surface moyenne des mètres carrés de bureau va se stabiliser, toutefois comme nous l’avons vu précédemment, la nécessaire centralité du siège social fera que le marché restera tout aussi tendu, voire encore plus qu’avant pour la simple et bonne raison que le besoin de centralité reste prépondérant dans le choix de l’installation.

« L’usage réversible du bâtiment comme créateur de valeur »

C’est l’usage du bâtiment qui créer de la valeur et les usages évoluent en fonction des cycles. L’immeuble de bureau devra donc être le plus réversible possible. Il y aura également un marché pour l’ancien. On peut très bien imaginer les vieilles tours de la défense devenir du logement ou des espaces de coliving. Un immeuble haussmannien à Paris, on le constate, peut s’adapter aux évolutions :  héberger des bureaux, du logement ou des centres commerciaux... Dans un monde aux ressources finies, il est primordial de préserver la biodiversité et je pense que l’avenir de la construction se trouve en partie dans la rénovation.

Pour cela il est essentiel de pouvoir mesurer et in fine de rentabiliser. C’est là que la technologie intervient dans ce processus de rationalisation. En arrivant à savoir quand et comment les espaces sont utilisés, on parvient à ajuster au mieux leurs usages. Cela peut et doit s’appliquer à l’ensemble des immeubles comme on le fait déjà pour l’énergie. Aujourd’hui, en collaboration avec des start-up, BNP Paribas Real Estate parvient à développer ce type d’outils qui valorisent au mieux un actif et permettent aux occupants de s’adapter, de libérer ou d’agrandir en fonction de la conjoncture. Mais l’innovation passe également par la modularité des espaces quand « l’immobilier » devient du « mobilier ». Pourquoi trois bureaux individuels ne pourraient pas devenir pendant une demi-heure une salle de réunion ?  Les possibilités sont infinies et surtout, sur le long terme, cela coûte moins cher à l’entreprise car la structure du bâtiment ne devient plus une contrainte, mais un levier d’agencement.

Kevin Cardona
Chief Innovation Officer